Le 23 mai 2024, Mahamat Idriss Deby Itno est investi président élu par le Conseil Constitutionnel à l’issue de la présidentielle du 6 mai 2024. Les Tchadiens sont embarqués pour un nouveau bail à durée indéterminée avec l’héritier du défunt Maréchal du Tchad. Notre pays vient ainsi d’ajouter un autre sujet de dispute à son agenda politique avec l’élection du 6 mai 2024. Il donne ainsi raison à ceux qui considèrent que le Tchad est un «cas clinique».
Trois ans après le décès tragique du Maréchal Idriss Deby Itno, les Tchadiens ont voté, et rien n’a changé. Sauf que l’élection présidentielle du 6 mai 2024 a rendu son verdict beaucoup plus tôt que prévu. Si seulement il y avait quelque chose d’étonnant dans l’organisation de cette élection, c’est la subtilité de la démarche pour légitimer la dynastie. Mais aussi la révélation au grand jour de ce à quoi Deby père avait habitué le monde, en trente ans de pouvoir ! À sa mort, en avril 2021, l’on avait, au mépris de la Constitution, fait croire à tous que l’installation de son fils dans le fauteuil présidentiel était le plus sûr moyen de préserver le Tchad d’une déstabilisation extérieure totalement fantasmée. Mahamat Idriss Déby Itno avait aussitôt promis de rendre le pouvoir aux civils après une transition de 18 mois et s’était engagé auprès de l’Union africaine à ne pas s’y présenter. Moins d’un mois plus tard, le sang de Tchadiens innocents recommençait à couler, comme au temps de Deby père, et n’a, depuis, jamais cessé de couler. Comme il coule, depuis l’annonce précipitée de la victoire de Mahamat Idriss Deby Itno.
En réalité, l’organisation du scrutin du 6 mai 2024 était le seul moyen pour Mahamat Idriss Deby Itno de se couvrir pour maintenir la trajectoire politique des trois dernières décennies. Le message a été on ne peut plus clair comme l’affirmait Gilles Yabi, responsable du Think-tank Wathi qu’au Tchad « la loi du plus fort, du plus armé, du plus brutal » avait toutes les chances de se perpétuer après cette élection et pendant longtemps. Sinon comment comprendre le déploiement massif des forces de défense et de sécurité tout au long du processus et l’opacité des opérations? L’affichage et la prise des photos des procès-verbaux des résultats des bureaux de vote étaient interdits. Personne n’a encore compris comment l’Agence Nationale de Gestions des Elections a pu traiter et vérifier les résultats venus de tout le pays avec une telle célérité. Ce scrutin présidentiel a rejoint la longue liste des élections dont on ne connaîtra vraisemblablement jamais les véritables résultats. Ce n’est pas un sort des plus enviables, pour un peuple, que de voir son destin confisqué, depuis si longtemps, par une même famille, un clan si friand de violence inouïe.
Oui, le 6 mai 2024, les Tchadiennes et Tchadiens ont massivement voté, non pas pour les projets de société, mais parce qu’ils veulent le changement. L’absence de paix, les abus et brutalités de tous genres, les conflits agriculteurs éleveurs, l’injustice sociale, l’absence d’investissements répondant aux besoins des populations, l’insécurité alimentaire et les famines cycliques, sont autant des préoccupations majeures de la population tchadienne. Ce que le peuple attend, c’est la bonne gouvernance, le respect de la dignité humaine, juste un peu de mieux-être…
Enfin, il y a au Tchad comme partout ailleurs sur le continent une jeunesse qui ne demande pourtant que le minimum pour pouvoir apprendre, travailler et servir. Une jeunesse qui voudrait bien aussi ne pas courir le risque de se faire tuer par des militaires, même lorsque ces derniers célèbrent joyeusement leur victoire.
Les observateurs ont unanimement rendu hommage au peuple tchadien pour sa maturité. Il faut espérer que les hommes politiques tireront les leçons de ce scrutin et se mettront au diapason du peuple pour qu’advienne le changement.
Dieudonné Pechene