Etats généraux de l’opposition tchadienne

 Un remède (possible) pour gagner la présidentielle de 2021

Depuis l’avènement du multipartisme en 1990 au Tchad, le changement tarde à se réaliser au sommet de l’Etat. Certains observateurs imputent la cause à la mauvaise organisation de l’opposition. Beaucoup souhaitent la tenue des états généraux de l’opposition qui pourraient impulser ce changement.

Votée le 24 décembre 2019 par les députés par 108 voix pour, 24 contre et zéro abstention, le projet de loi organique sur la composition de la future Assemblée nationale met fin aux ambitions de l’opposition de gagner les législatives de 2020. Cette loi repartit les sièges des députés à l’hémicycle qui en compte 161, en mettant en exergue le critère géographique, contraire au principe universel de l’égalité de suffrage basé sur la taille de la population. Les circonscriptions électorales retenues pour les législatives sont les départements. Or, la majorité de 121 départements se trouve au Nord du pays, plus vaste que le reste du pays. Le parti au pouvoir – Mouvement Patriotique du Salut (MPS)- est la seule formation politique la mieux implantée dans cette partie du territoire national. Les expériences ont montré que cette zone vote presque cent pour cent les candidats du MPS. Ainsi, tout calcul fait, en cas du vote, le MPS va rafler 101 sièges sur 161 que compte la future Assemblée Nationale, à moins qu’il y ait un cataclysme électoral. Aussi, le MPS pourra glaner partout sur l’ensemble du territoire national les sièges restants pour arriver à constituer une majorité écrasante à l’hémicycle. Dans ces conditions, l’opposition démocratique se contentera des miettes ; elle jouera simplement le rôle de caution démocratique, face à un processus conduit de main de maître par le parti au pouvoir. Alors, le seul choix laissé maintenant à l’opposition est l’élection présidentielle prévue au mois d’avril 2021. La tenue des états généraux pourrait-elle aider l’opposition à gagner cette élection ?

Diviser pour gagner est contre productif

En effet, par le passé, les leaders de l’opposition tchadienne partent toujours en ordre dispersé aux précédents scrutins présidentiels. Cette stratégie, semble-t-il, vise l’émiettement des voix pour empêcher le candidat du pouvoir de gagner dès le premier tour. A contrario, ce système peut conduire l’opposition à mettre de son côté la chance de figurer tout d’abord au deuxième tour avant de reporter ses voix sur l’un de ses candidats bien placé pour remporter la présidentielle. Mais, l’histoire renseigne également que cette stratégie ne profite pas à l’opposition, mais fait le lit de la victoire du président sortant, en l’occurrence Idriss Déby Itno. Celui-ci gagne sans coup férir toutes les élections présidentielles. 

Par ailleurs, cette multiplicité de candidatures de l’opposition cache, en réalité, la difficulté des opposants tchadiens à présenter un candidat unique à l’élection présidentielle. Depuis toujours, la classe politique tchadienne est déchirée par des luttes d’influence. Les leaders de l’opposition ont de la peine à accorder leurs violons sur les enjeux électoraux (Cf. Tchad et Culture n°375, 379), même si, par moment, ils s’efforcent de faire un jeu collectif autour de l’amélioration du cadre électoral. Par exemple, l’accord du 13 août 2007 signé avec la majorité présidentielle en vue du renforcement du processus démocratique au Tchad. Souvent, on assiste à des ralliements contre nature. Peu de Tchadiens ont vocation à rester éternellement opposants. Las d’attendre l’alternance au pouvoir, certains ténors de l’opposition rallient le pouvoir en place. Argument avancé : on ne peut exister politiquement si on n’a pas participé à la gestion du pouvoir politique. Du coup, on observe des alliances qui se nouent et se dénouent au sein de l’opposition elle-même et avec le parti au pouvoir. Ces voltefaces interviennent généralement à l’approche imminente des consultations électorales. Le plus grand perdant de ces transhumances politiques est bel et bien l’opposition qui se discrédite totalement aux yeux de la population. 

Un manque de vision préjudiciable à la démocratie

De plus, la transhumance politique constitue un danger pour notre démocratie. Car, la qualité d’un système démocratique ne s’apprécie que par rapport à celle des organisations politiques qui l’animent. Fragilisée par ces défections, l’opposition brille par son inconstance et manque d’initiatives constructives. Du coup, les leaders de l’opposition ne constituent plus une force politique alternative face au parti au pouvoir. Résultat, ils éprouvent d’énormes difficultés à mobiliser massivement les électeurs à voter en faveur de leur programme politique. Généralement, la grande majorité de la population boycotte les scrutins. Cette désaffection populaire de la chose politique fait peser également une menace grave  sur la démocratie tchadienne. 

Pire, l’opposition démocratique n’a pas jusque-là tiré les leçons de toutes ses débâcles électorales pour envisager l’avenir plus radieux. Pourtant, « l’expérience éduque mieux que les conseils », dit un adage. De plus, ce à quoi aspire l’opposition politique dans toute démocratie, c’est l’alternance au pouvoir. Depuis l’avènement du multipartisme en 1990 au Tchad, le changement tarde à se réaliser au sommet de l’Etat à cause de la mauvaise organisation des partis politiques de l’opposition. Certains observateurs de la scène politique tchadienne souhaitent la tenue des états généraux des partis politiques de l’opposition qui pourraient impulser ce changement. 

Laver le linge sale en famille

L’organisation de ces assises sera une occasion pour les leaders de l’opposition de s’assoir tous ensemble autour d’une table et dialoguer. Ce dialogue permettrait d’aborder de manière sereine des sujets qui divisent pour aplanir les difficultés. Il s’agit en fait, de dresser sans complaisance le bilan de leur parcours afin de dégager de nouvelles perspectives. La transhumance qui mine la classe politique de l’opposition doit figurer en bonne place à l’ordre du débat, puisque ce comportement engendre une crise de confiance entre les acteurs politiques. Cette réunion vise à terme à unir l’opposition et en faire une force politique alternative face au MPS dans l’optique de désignation d’un candidat unique à l’élection présidentielle de 2021. 

Dans cette perspective, l’opposition aurait la chance de gagner les élections futures. Pour illustration, lors de l’élection présidentielle de 1996, il y avait au total quinze candidats dont quatorze sont membres de l’opposition. Au premier tour, tout calcul fait, cette opposition plurielle avait obtenu 56,18% de suffrages exprimés contre 43,82%  de voix du candidat Idriss Déby Itno du MPS, arrivé en tête. Ce qui lui donnait la majorité absolue pour remporter cette élection, si elle était unie. Par ailleurs, en 2012 au Sénégal, le candidat Macky Sall ayant bénéficié d’une union sacrée des principaux partis politiques de l’opposition autour de sa personne, avait gagné l’élection présidentielle face à Abdoulaye Wade. Parce qu’avant l’élection présidentielle, les ténors des partis avaient organisé des assises à l’issue desquelles Macky Sall était investi comme candidat unique de l’opposition avec un programme commun de gouvernement

Union sacrée autour des stratégies de lutte 

Au sortir des états généraux, il faut que la classe politique de l’opposition tchadienne adopte aussi un projet de société cohérent et consensuel qu’elle défendra devant les électeurs face au candidat de la majorité présidentielle. Cette option exige des leaders des sacrifices à faire pour abandonner leurs ambitions personnelles au profit de l’union sacrée. « Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès », avait lancé l’ancien président sud-africain Nelson Mandela à ses compatriotes. Ce qui peut redonner confiance aux citoyens ayant perdu tout espoir dans le jeu démocratique et susciter en eux l’engouement à participer au vote. 

Les principaux partis politiques de l’opposition doivent sans tarder organiser les états généraux de l’opposition qui pourraient favoriser le rapprochement des partis politiques afin de bâtir des stratégies gagnantes, notamment l’union sacrée et la désignation d’un candidat unique de l’opposition. Celui qui veut aller loin ménage sa monture. Sinon, de grâce, il ne faut pas distraire le peuple tchadien sans l’émergence d’un candidat unique de l’opposition.

Alphonse Dokalyo

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